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Décembre 1961
Parce qu'on y parle de violence, de verre brisé et d'un attentat de l'OAS rue Mouffetard à Paris.
On vous emmerde grave, mes congénères et moi. Je sais bien que vous ne nous aimez pas. Aucun respect pour nous. Queutch. Alors pourquoi on en aurait pour vous, hein? Si vous pouviez nous tirer dessus quand on plane au-dessus de vous, histoire de nous mettre du plomb dans la cervelle comme vous dites, vous le feriez. Mais nous, on est des malins. Des vrais. On vous prend un peu de hauteur, on se balade en bande comme ça on ne craint rien. Quand on vous croise, c’est vous qui changez de trottoir, pas nous. Nous sommes les blousons noirs de votre époque. Ça vous arrange de penser que nous ne sommes que des rebelles sans cause, mais c'est trop facile. Vous ne vous en tirerez pas comme ça.
L’autre jour, je me suis engueulé avec mon père. Ce gros con déplumé me disait que je ne connaissais rien à rien. Que du haut de mes 15 ans d'espérance de vie, je n’avais encore rien connu de la vie ou du monde. Mais qu’est-ce qu’il sait de moi ce gros lard, hein? Qu’est-ce qu’il sait de mes envies? Il se moque bien de moi, de mes jeux à moi, de ces jeux auxquels il ne comprend rien évidemment. Quand il me voit faire des pirouettes en l’air, quand il me voit faire mes strikes, au mieux il lève les yeux au ciel, au pire il soupire. Il dénigre tout ce que je fais, tout ce qui me plaît. Tout ce que mes potes dans la bande font ou roucoulent. Et ce qui l'énerve le plus, finalement, c'est qu'on en a rien à carrer.
Moi, je veux vivre ma vie. Je m'en fous de l'avenir que vous considérez avoir construit pour moi. Vos châteaux de cartes ne m'intéressent pas. Maintenant, je pars si je veux, quand je veux. Vos leçons de morale me passent à trois kilomètres au-dessus de la tête, là-haut dans mes nuages, mettez-vous bien ça dans la calebasse. Ça a dû être inventé pour les cons, la morale. Et vous êtes champions du monde, vous. Alors je plane et je vous chie à la gueule. Je prends mon pied à mille pieds d'altitude. J'adore être infecte. J'aime tellement ça. Le genre de petit rien qui fait du bien et qui ne coûte rien. Vous ne méritez pas mieux. Je n'ai tellement pas envie de finir comme vous.
Moi, ce que j'aime, c'est de me laisser porter. Par les courants ascendants. Par tout ce qui voudra bien me porter. On ne voit pas le monde de la même manière, vous et nous. Forcément. D'où je suis, j'ai une perspective bien à moi. Et je vous plains d'être là où vous êtes. Petits passants en contre-bas dont on ne distingue que les épaules tombantes. Les miennes sont bien redressées, bien droites. Je fends l'air quand j'avance. Car moi j'avance. Je ne fais que ça. Mais à ma manière. La vôtre m'emmerde profondément. Moi je vous le dis. Bosser ne sert à rien. Trimer comme un chien est absurde. Faire des efforts? Une idée de cerveau malade. Vous vous foutez vraiment le doigt jusqu'à l'omoplate si vous pensez que je vais changer ma façon de voir les choses. Moi, je préfère ma belle liberté à vos petites servitudes.
L’autre fois, c’est ma nouvelle belle-mère qui pleurnichait et qui se plaignait de moi. Elle a traité mes potes de rats, de rebus de l'enfer, parce qu’elle n’a pas osé me le dire en face, à moi. Vous vous rendez compte? Mais pourquoi vous nous jugez comme ça, hein? Qu’est-ce qu’on vous a fait? On n'a plus rien à vous demander, on a déjà tout eu! Eh ouais, c’est facile de nous traiter de branleurs, c’est facile de nous traiter de bons à rien. C’est facile de ne voir en nous que des petits cons incapables de prendre une décision parce qu'on a une cervelle de moineau. Mais tout ça, c’est de votre faute! Je me demande si vous en prendrez conscience un jour. Finalement, si on est comme on est, c’est carrément à cause de vous! Tout est toujours tombé tout cru dans nos assiettes, y'a toujours eu qu'à se baisser pour picorer ce qu'il nous fallait, faut pas faire les étonnés! Pourquoi on se ferait encore chier à dire merci, hein? Mettez-vous bien ça dans la tête. Nous ne sommes que le résultat de vos erreurs, de vos gâchis. Vous n'avez jamais été capables d'attirer notre attention pour de bonnes raisons. On ne fait jamais rien comme vous voudriez qu'on fasse les choses. Ça, ça nous casse les couilles, vous n'avez pas idée combien... Oh putain, vous savez pas combien...
Moi, tout ce que je sais, c'est que contrairement à ce que vous pensez, j'arrive à voir plus loin que le bout de mon bec. Vous n’avez encore aucune idée de la surprise que la vie vous réserve. On va foutre une belle merde dans tout ça, dans votre petit monde tout étriqué, dans toutes vos jolies certitudes. Vous verrez, vous qui pensez que nos rebellions n’en sont pas, vous allez voir. Vous changerez d'avis, vous viendrez picorer dans notre main. Car un beau jour vous comprendrez. Quand ce sera vous qui allez chier partout parce que vous serez trop vieux pour vous retenir, et bien vous verrez. Vous pleurerez tout ce que vous pouvez, et vous serez finalement bien contents de trouver quelques uns d’entre nous pour vous donner la becquée. Rira bien qui rira le dernier. Encore faudra-t-il avoir des dents pour ça.
– Eh, tu viens avec nous?, me lance l'un de nous au plumage plus foncé que les autres. Je ne le connais que de vue, il a une tête bizarre avec son grand bec de lièvre et ses petits yeux globuleux qui vous scrutent comme ils le feraient avec leur prochaine proie. Il a comme qui dirait l'air de planer. Il s'appelle Biaggio je crois. Ou Emilio, je sais plus trop. Le genre d'oiseau aux ailes déjà carbonisées, ça c'est sûr.
– Venir? Où ça?
– On a repéré un coin tranquille, sur les hauteurs de Belleville. On y domine tout Paris.
– Et?
– Y'aura personne pour nous emmerder là-haut, c'est sûr. Pas un connard à l'horizon pour nous dire qu'on doit frapper avant d'entrer. On pourra faire tout ce qu'on veut.
– Et vous avez quoi en tête?
– Rien de spécial. On se perchera quelque part, on se roulera un petit truc. Je te jouerai du tambourin si ça te chante.
– Oh, ça me va comme programme, ça.
– Rien foutre, dire du mal des autres et refaire le monde à notre sauce, c'est bien aussi. Et puis si on est trop raides pour partir, on pourra même y dormir à la belle étoile. On a construit un petit abri en bois, on a même prévu des duvets.
– Y'a des arbres là-haut?
– Bien sûr!
– Cool. On pourra se gober quelques petites pilules. Ça fait classieux le violacé quand on chie sur leurs peintures métallisées.
– Ça ressemble au plan parfait.
Oh, vous fatiguez pas avec votre air outré, je sais ce que vous pensez. Vous pestez déjà parce que vous croyez qu'on ne pense qu'à nous amuser, qu'à tout saloper sur notre passage, qu'à nous bécoter. Qu'on est futiles, qu'on est inutiles. Qu'on est nuisibles même. Mais les pigeons de l'histoire, c'est pas nous. C'est vous. Car quoi qu'il arrive, ce sera toujours nous qui aurons le dernier mot. La dernière crotte à larguer, elle sera à nous. Dans votre gueule. Que vous le vouliez ou non, vous avez déjà perdu la partie.
Vous êtes qui, vous, d'ailleurs?
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Très librement inspiré des films Dangerous Minds de John N. Smith (1995) et The Kings of Summer de Jordan Vogt-Roberts (2013).