
«Les lenteurs de la justice jouent en faveur des bourreaux», lançait le journaliste de RTL lors de sa chronique concernant l’affaire Mansour Labaky, du nom de ce prêtre pédophile libanais. Il ne pensait pas si bien dire.
Hier, je suis allé voir Grâce à Dieu, le dernier long-métrage de François Ozon. J’avoue, Ozon est loin d’être mon réalisateur préféré, mais le sujet m’est cher. Le film raconte le combat de victimes d’un prêtre pédophile lyonnais, Bernard Preynat, dont les agissement ont été couverts pendant de nombreuses années par la hiérarchie, à commencer par Albert Decourtray (mort en 1994) et par Philippe Barbarin. Ne m’en voulez pas, je ne vois pas l’intérêt de dire «père», «monseigneur», «archevêque» ou «béatitude». Ce ne sont que des hommes avec un Etat civil comme vous et moi, leurs titres d'inspiration divine ne servent à rien.
L’une des dernières scènes du film montre Barbarin lors d’une conférence de presse durant laquelle il a ce mot malheureux et tellement révélateur, en parlant d’un crime commis plus de 20 ans plus tôt: «Grâce à Dieu, il y a prescription.»
Et ce matin, la nouvelle tombe. Barbarin est finalement condamné à 6 mois avec sursis pour «non-dénonciation d’agressions sexuelles». Six mois avec sursis, sérieusement? Je ne suis ni avocat ni procureur, mais l’idée qu’une personne reconnue coupable dans ce genre d’affaire puisse rentrer dormir chez elle le soir-même me reste un peu en travers de la gorge.
Non. Il ne devrait y avoir ni sursis si prescription dans ce genre d'affaire. Ni pour les auteurs, ni pour leur(s) complice(s). Mais grâce à Dieu (pour lui), il fait partie de l’Eglise.
Ces scandales à répétition sont véritablement le cancer dans cette institution d’un autre âge. Dans le (remarquable) film d'Ozon, à deux reprises, le réalisateur et scénariste fait parler ses personnages du Liban: «On ne va tout de même pas le laisser partir au Liban s’occuper d’enfants…» (ou quelque chose dans le genre). Evidemment, Ozon fait référence au scandale Mansour Labaky. En 2012-2013, j’ai été assez proche du dossier pour des raisons personnelles, j’ai eu accès à des témoignages de victimes, et à plusieurs documents (dont deux ci-dessous en photo). Impossible de ne pas avoir la nausée. Finalement, quand la nouvelle est sortie au Liban, ça a fait pschitt. Les explications sont nombreuses, les contre-feux souvent ridicules, les accusations de cabale ou de vengeance personnelle vraiment insupportables de bêtise.
Nous ne saurons probablement jamais combien cet homme a fait de victimes, sa fiche Wikipédia devrait parler des enfants qu’il a eus plutôt que de ses livres. Nous ne saurons probablement jamais l’étendue du scandale dans la hiérarchie de l’Eglise maronite. Qui savait? Qui a couvert? Rai? Matar? Des hommes politiques? Qu'importe. Tous ces gens-là le savent: ils sont intouchables (sans mauvais jeu de mot).
Labaky a donc été jugé et condamné par la justice du Vatican en avril 2012. Sentence confirmée en 2013 après un recours en appel rejeté le 19 juin, pour être précis. La sentence, la voici, avec différents points qui paraissent totalement déconnectés de la réalité. Envoyer un prêtre pédophile en réclusion dans un joli monastère de la montagne libanaise, sérieusement? Un «lieu retiré»? C’est à la prison de Roumieh qu’il aurait dû aller croupir. Vous savez ce qu’ils font aux pédophiles à Roumieh? Bref.


Parmi les dispositions du jugement: «Tout contact avec des mineurs sera écarté.» Mot pour mot. Pourtant, le 21 juin 2013, soit 48 heures après sa condamnation, il assistait à une pièce de théâtre à Beyrouth, pièce jouée par une troupe d'enfants. Dans le public autour de lui, quasiment des gosses. Les pervers comme Labaky se moquent éperdument de la justice des hommes. En le voyant parader dans le public ce soir-là, j'avais l'impression de le voir faire des doigts d'honneur à tout le monde. Pour rester poli.
Qu’ils nient les faits – comme Mansour Labaky – ou qu’ils les reconnaissent – comme Bernard Preynat –, ils savent qu’ils ne seront jamais vraiment inquiétés. Même chose pour leurs complices ou les personnes qui continuent de les couvrir, coûte que coûte. Une irrépressible envie de vomir arrive vite quand on pense à ces gens-là. Je continue pourtant d’espérer que tous ces combats ne sont pas perdus d’avance.
Depuis, Labaky a également été condamné par un tribunal (civil) français et un mandat d’arrêt international a été émis en 2016 par le juge d’instruction du tribunal de Caen. Mais l'impunité continue, il est évident que "Abouna" – comme ses fans continuent de l'appeler – ne prendra jamais le risque de remettre les pieds en France. Aux dernières nouvelles, il est toujours dans sa montagne libanaise. Il fêtera ses 79 ans ce week-end.
Je sais bien que le film de François Ozon ne sortira jamais au Liban, où il est impensable d’écorner les clergés (c'est puni par la loi). Et c’est bien dommage tant les 18 années passées là-bas m’ont rendu farouchement anticlérical. Difficile de faire autrement tant les saintes Eglises de ce beau pays sont assoiffées d'argent, de pouvoir, de propriétés et de nourritures tout ce qu'il y a de plus terrestres. Y aura-t-il un jour un cinéaste libanais pour faire ce qu’Ozon a osé faire en France? Pour raconter simplement les crimes d'un homme? Qui sait. Ce jour-là, je dirai moi aussi «Grâce à Dieu».
Mise à jour du 10 novembre 2021
Avant-hier lundi, Mansour Labaky était jugé par contumace au tribunal de Caen, en Normandie, pour les faits qui lui sont reprochés en France. Verdict: 15 ans de prison. Je vous renvoie au très bon article de Caroline Hayek dans L'Orient Le Jour qui raconte le parcours du personnage, et à celui paru le 10 novembre suite à la journée de procès. Un personnage qui ne sera jamais inquiété au Liban où il se terre, il y bénéficie de protection au plus haut sommet de l'Etat et du clergé. Vu la gravité des faits, 15 ans de prison paraît même un peu clément, même si l'homme a aujourd'hui 81 ans. Mais ce procès aura au moins servi à donner la parole aux victimes. En espérant que d'autres sortent du bois à présent...