Il y a deux semaines, je me suis retrouvé sur la route de Chernobyl. Pas vraiment par hasard. Cela faisait longtemps que j’avais ce voyage en tête. J’avais envie de voir. De comprendre. J’ai toujours besoin de voir. Surtout les séquelles de cette invisible radiation qui a rongé les cœurs et les villes avec un appétit dévorant, il y a 32 ans maintenant. Si la centrale est située en Ukraine, c’est surtout la Biélorussie voisine qui a subi de plein fouet le nuage et les pluies radioactives en avril 1986. Juste avant mon voyage, une amie m’avait dit que l’effroyable catastrophe était encore présente partout là-bas. Que rester trop longtemps sur place impliquait un protocole sanitaire drastique en sortant de la zone. Je n’ai pas passé la frontière pour voir à quoi ressemble cette Russie blanche. Peut-être une autre fois. Car je garde l'impression de n'avoir vu que la surface des choses.
Je me retrouve donc au nord de l’Ukraine. A Chernobyl et surtout à Pripyat, cette ville au nom moins connu que celui de la centrale dont le 4e réacteur a explosé en pleine nuit. Pour celles et ceux que cela intéresse de revenir sur les faits, je recommande un documentaire de Discovery de 2006 intitulé The Battle of Chernobyl (voir vidéo ci-dessous). Il raconte et donne la parole à ces femmes et ces hommes qui étaient là, il montre les visages de ces bio-robots chargés d’évacuer les débris radioactifs, parfois à mains nues. Ces hommes et ces femmes qui se sont sacrifiés et à qui l’Europe entière doit sa survie. Car sans eux, la catastrophe aurait dû être bien plus violente, une deuxième explosion aurait pu rendre inhabitable tout le continent. Je vous conseillerais aussi vivement la lecture du livre-témoignages de Svetlana Alexievitch, La supplication, dont je n'ai pas encore fini la lecture, mais qui fait froid dans le dos. Dans ce livre (Prix Nobel de littérature), les témoins racontent ce qu'ils ont vécu: Chernobyl, c'est au-delà de la guerre. Ce qu'a subi l'homme là-bas en 1986 est simplement unique dans l'histoire de l'Humanité.
Aujourd’hui, les chiens errants rôdent. La ville voisine de la centrale, Pripyat, était un prototype de ville nouvelle dans l’empire soviétique. Une ville modèle. Depuis, c’est une ville fantôme dans laquelle la végétation a repris ses droits. Tout a été figé dans le temps. Les compteurs ont été remis à zéro. En anglais, les années ne se comptent plus en disant "After Death" (AD, après Jésus Christ pour les francophones), mais "After Accident" (AA).
Voir Pripyat n’est peut-être pas aussi impressionnant que voir une scène de guerre. Mais cela fait réfléchir. A ce qui nous pend encore au nez, que ce soit dans cette Russie d’aujourd’hui tout aussi opaque que l’Union soviétique, ou même en Europe de l’Ouest avec nos centrales vieillissantes. Un nouveau Chernobyl pourrait arriver demain. Sous une forme ou sous une autre. En décembre 2017, plusieurs pays européens ont enregistré un nouveau nuage radioactif venant de Russie. Evidemment là-bas, l'information a du mal à sortir. Comme souvent.
Je vous laisse avec une longue série photographique sur la zone d’exclusion militaire autour de la centrale et du sarcophage recouvrant le réacteur nº4. Cliquez sur le symbole ☢ dans la photo, et partez à la découverte de cette région où les compteurs Geiger s'excitent parfois encore au gré de quelques hotspots hors des sentiers battus. Passer quelques heures à Chernobyl vous fait forcer réfléchir. Nous avons simplement créé un monstre.
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